EXERCICE D’UNE ACTIVITE PENDANT LES CONGES PAYES DU SALARIE ET
PREJUDICE SUBI PAR L’EMPLOYEUR
(Cass. soc. 05.07.2017, n° 16-15.623)
Dans un précédent article (ci-dessous : « EXERCICE D’UNE ACTIVITE PENDANT UN ARRET DE TRAVAIL… LES CONTOURS DE L’OBLIGATION DE LOYAUTE PENDANT LA SUSPENSION DU CONTRAT DE TRAVAIL »), nous parvenions à isoler le critère du préjudice subi par l’employeur pour caractériser les cas dans lesquels la jurisprudence retenait que l’exercice d’une activité par un salarié pendant un arrêt de travail pour maladie pouvait être sanctionné par un licenciement.
Or, dans un arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de Cassation prend soin de préciser que ce critère serait en réalité, et dans le cas d’espèce, sans incidence.
Dans cette espèce, une salariée, qui occupait le poste de chef d’équipe et avait une fonction de référente à l’égard de ses collègues, avait exercé pendant ses congés payés des fonctions identiques à celles occupées au sein de la société employeur, et ce, pour le compte d’une société directement concurrente qui intervenait dans le même secteur d’activité et dans la même zone géographique.
La Cour de Cassation a jugé que « la salariée avait ainsi manqué à son obligation de loyauté en fournissant à cette société, par son travail, les moyens de concurrencer son employeur, sans avoir à caractériser l’existence d’un préjudice particulier subi par l’employeur » : ces agissements étaient d'une gravité telle qu'ils rendaient impossible le maintien de l’intéressée dans l’entreprise.
Il s’agissait ici de l’exercice d’une activité professionnelle pendant des congés payés et non pendant un arrêt de travail pour maladie, mais ce fait est sans incidence dès lors qu’il y a bien, dans les deux cas, suspension du contrat de travail.
La salariée avait formé un pourvoi en cassation sur le moyen suivant : « en considérant que le fait pour la salariée d’avoir exercé des fonctions de maître-chien pour le compte d’une société concurrente pendant une dizaine de jours, au cours d’une période de congés payés, constituait une faute grave justifiant son licenciement immédiat, sans avoir caractérisé l’existence d’un préjudice subi de ce chef par l’employeur, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et des articles L 1222-1, L 1232-1, L 1234-1, L 1234-5 et L 1234-9 du Code du travail ».
La Cour de Cassation a donc dû répondre précisément sur ce point.
Or, en l’espèce, la salariée avait, pendant ses congés, directement concurrencé son employeur et avait été rémunérée en conséquence : il s’agissait là d’une violation directe de l’obligation de loyauté pesant sur la salariée. Dans une telle hypothèse, la démonstration d’un préjudice subi par l’employeur n’avait pas lieu d’être exigée.
Il ne nous semble donc pas que le critère de l’existence d’un préjudice subi par l’employeur soit abandonné par la Cour de Cassation dans tous les cas de l’exercice d’une activité professionnelle du salarié pendant une période de suspension du contrat de travail.
EXERCICE D’UNE ACTIVITE PENDANT UN ARRET DE TRAVAIL…
LES CONTOURS DE L’OBLIGATION DE LOYAUTE PENDANT LA SUSPENSION DU CONTRAT DE TRAVAIL
(Cass. soc. 28.01.2015, n° 13-18.354)
Un arrêt de la Cour de Cassation du 28 janvier 2015 offre l’occasion de préciser les contours de l’obligation de loyauté du salarié pendant une période de suspension de son contrat de travail.
Selon quel(s) critère(s) identifier les cas dans lesquels l’exercice d’une activité par un salarié pendant un arrêt de travail pour maladie peut être sanctionné par un licenciement, éventuellement pour faute grave ?
La suspension du contrat de travail, quelle qu’en soit la cause, libère le salarié de ses principales obligations envers l’employeur, à l’exception de son obligation de loyauté.
Ainsi, pendant son arrêt de travail pour maladie, le salarié ne doit pas commettre d’actes susceptibles de constituer une violation de cette obligation (divulgation d’informations confidentielles, concurrence déloyale…).
L’acte déloyal commis pendant la suspension du contrat est une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 15 juin 1999, n° 96-44.772).
Qu’en est-il de l’exercice par le salarié d’une activité pendant son arrêt de travail pour maladie ?
Selon la Cour de Cassation, « l’exercice d’une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté ».
C’est ce qu’elle a admis à l’égard :
- d’un salarié, conducteur, qui avait aidé temporairement et à titre bénévole, le gérant d’une station-service (Cass. soc., 4 juin 2002, n° 00-40.894) ;
- d’une salariée, agent thermal, qui avait aidé, très temporairement, et à titre bénévole, en sa qualité d’associée et de concubine, le gérant d’un bar (Cass. soc., 11 juin 2003, n° 02-42.818) ;
- d’une salariée s’étant bornée à aider occasionnellement son mari dans un fonds de commerce qui était exploité par lui seul à la même adresse que leur domicile conjugal et à des heures où le service de restauration en salle était terminé (Cass. soc. 28 novembre 2006 n° 05-41.845) ;
- d’une salariée s’étant bornée à apporter durant son congé maladie une aide à son compagnon au sein de la pizzeria exploitée par ce dernier (Cass. soc., 12 juin 2008, n° 07-40.307).
En revanche, l’acte déloyal a été reconnu et le licenciement pour cause réelle et sérieuse admis à l’égard d’un salarié, mineur, qui avait occupé, pendant plusieurs mois au cours desquels il était en arrêt de travail pour maladie, un emploi rémunéré de serveur de bar (Cass. soc. 12.01.2005 n° 02-46.002).
Au regard de cette jurisprudence, le caractère lucratif ou bénévole de l’activité exercée semble déterminant pour juger ou non déloyal le comportement du salarié. Lorsque l’activité est rémunérée, la déloyauté peut être retenue même s’il ne s’agit pas d’une activité concurrente de celle de l’employeur.
Toutefois, le seul caractère lucratif de l’activité nous semble insuffisant et ne permet pas de résoudre totalement la problématique.
De l’examen des décisions de la Cour de Cassation semble se dégager un autre critère plus pertinent : le manquement du salarié à l’obligation de loyauté doit s’apprécier à l’aune du préjudice subi par l’employeur.
C’est ce qu’avait déjà affirmé expressément la Haute Juridiction dans un arrêt du 12 octobre 2001 (Cass. soc. 12 octobre 2011 n° 10-16.649).
Dans cette affaire, les juges du fond avaient déclaré fondé le licenciement d’un salarié qui avait été vu, en dehors des heures de sortie autorisées par l’avis d’arrêt de travail, sur trois marchés avec l’attitude d’un vendeur tenant le stand de son épouse. Ils avaient considéré que l’instrumentalisation d’arrêts de travail pour maladie aux fins de se consacrer à une activité lucrative, même non concurrentielle de celle de l’entreprise au service de laquelle une activité salariée est exercée, constituait un manquement grave du salarié à son obligation de loyauté.
L’arrêt a été cassé au motif qu’il n’était pas démontré que cette activité ait porté préjudice à l’employeur.
Le critère de l’existence d’un préjudice, en cas d’activité exercée pendant l’arrêt de travail pour maladie, avait déjà été admis implicitement par la Cour.
Est à ce titre justifié le licenciement d’une salariée, vue en train de travailler, pendant son arrêt de travail pour maladie, dans les locaux d’une société appartenant à son ancien employeur, laquelle connaissait des difficultés avec le nouvel employeur relatives aux conditions du transfert du fonds de commerce (Cass. soc., 21 novembre 2007, n° 06-44.229).
C’est bien encore le préjudice de l’employeur qui nous paraît constituer le manquement à l’obligation de loyauté :
- d’un salarié, mécanicien, qui avait, durant un arrêt de travail pour maladie, entrepris la réparation d’un véhicule pour son compte en faisant appel à un autre mécanicien de la société (Cass. soc., 21 octobre 2003, n° 01-43.943) ;
- d’une salariée, ambulancière, qui durant son arrêt de travail pour maladie avait démarché des clients de son employeur pour la société de taxi de son époux (Cass. soc., 23 novembre 2010, n° 09-67.249) ;
- d’un salarié ayant, à l’insu de son employeur et alors qu’il se trouvait en arrêt de travail pour maladie, réalisé une intervention en concurrence directe avec l’activité de l’entreprise et mentionné, sur une fiche d’intervention vierge qu’il avait conservée, le nettoyage d’une chaudière à gaz de nature à engager la responsabilité de la société en cas de dysfonctionnements ou d’incidents (Cass. soc. 9 février 2012 n° 10-26.825).
Le critère du préjudice de l’employeur est à nouveau identifié dans un arrêt de 16 octobre 2013 (Cass. soc. 16 octobre 2013 n° 12-15.638) :
- la Cour d’Appel avait débouté un mécanicien dépanneur, ayant déclaré une maladie professionnelle affectant ses deux mains et ayant été licencié pour avoir exercé une activité de pilote de rallye pendant ses arrêts de travail ;
- la Cour casse l’arrêt au motif que les premiers juges auraient dû rechercher si l’activité de pilote de rallye exercée par le salarié pendant la période de suspension du contrat de travail avait causé un préjudice à l’employeur.
Une nouvelle fois, la Cour de Cassation vient de reprendre expressément le critère de l’existence du préjudice de l’employeur dans un arrêt du 28 janvier 2015 (Cass. soc. 28 janvier 2015 n° 13-18.354).
En l’espèce, une salariée avait exercé, pendant son arrêt de travail pour maladie, une activité professionnelle pour le compte d’une société concurrente. Plusieurs témoins avaient attesté de la présence régulière de l’intéressée dans les locaux de cette société ; en outre, une publicité parue dans un journal mentionnait la salariée au sein des effectifs de la société concurrente. Sur la base de ces éléments, l’employeur avait prononcé un licenciement pour faute grave.
La Cour de Cassation confirme l’existence d’un manquement à l’obligation de loyauté rendant impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise, « l’exercice d’une telle activité causant nécessairement un préjudice à l’employeur ».
Il n’en reste pas moins que l’existence du préjudice de l’employeur comme élément constitutif du manquement à l’obligation de loyauté du salarié pendant la suspension du contrat de travail relève d’une appréciation des éléments de fait par les juges du fond, de sorte qu’il demeure difficile de déterminer, à coup sûr, la nature des comportements susceptibles de caractériser un tel manquement.
Seule certitude peut-être : une activité exercée par un salarié pendant son arrêt de travail, qui serait à la fois temporaire, bénévole et non concurrente, ne devrait pas pouvoir donner matière à sanction…