HARCELEMENT - OBLIGATION DE SECURITE

 

OBLIGATION DE SECURITE ET HARCELEMENT MORAL D’UN TIERS

(Cass. soc. 19.10.2016, n° 14-29.623 et 14-29.624)

 

 

Une nouvelle décision rendue par la chambre sociale de la Cour de Cassation s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence en matière d’obligation de sécurité de résultat à laquelle est soumis l’employeur.

 

Dans cette espèce, un couple, engagé en qualité de gardien concierge par une société de gestion immobilière, a été victime d’insultes et de l’agressivité de résidents qui se sont livrés à des dégradations sur leur bien.

 

Les deux salariés, licenciés tout deux pour des motifs différents, ont invoqué un manquement fautif de l’employeur à son obligation de résultat en matière de protection de la sécurité et de la santé de ses salariés, indiquant que la seule mesure prise par l’employeur avait consisté à leur proposer de déménager dans un autre logement afin de dissocier le logement de fonction du lieu de travail.

 

L’employeur doit répondre des conséquences résultant des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés. Il s’agit d’une solution reposant sur le principe civiliste de responsabilité du commettant du fait du préposé.

 

En vertu de son obligation de sécurité de résultat, l’employeur peut donc être tenu responsable du harcèlement moral subi par un salarié du fait de l’intervention d’un tiers, exerçant une mission au sein de l’entreprise.

 

La Cour de Cassation a ainsi pu retenir la responsabilité d’une société de restauration dont l’un des salariés avait été victime de harcèlement moral de la part d’un membre d’une société chargée de mettre en place de nouveaux outils de gestion et de formation du personnel dans l’un de ses restaurants (Cass. soc. 01.03.2011, n° 09-69.616).

 

Néanmoins, cette responsabilité n’est pas automatique, comme le précise la Cour de Cassation dans un arrêt du 19 octobre 2016.

 

Dans cette espèce, la Cour s’est placée exclusivement sur le terrain du harcèlement, conformément à l’argumentation développée par les demandeurs, et a rejeté le pourvoi sur le fondement de la motivation suivante :

 

« Mais attendu que le salarié ayant seulement soutenu que le manquement à l’obligation de sécurité résultait d’agissements de harcèlement moral, la Cour d’Appel qui a constaté que les faits établis par le salarié ont été commis par des tiers qui n’exerçaient pas de fait ou de droit, pour le compte de l’employeur, une autorité sur l’intéressé, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

 

Selon la Cour, la demande des salariés ne pouvait prospérer sur ce terrain, dès lors que les agissements avaient été commis par des résidents de l’ensemble immobilier, qui n’exerçaient manifestement aucune autorité de fait sur les époux concierge.

 

Cette décision ne tranche donc pas avec la jurisprudence existante conditionnant la responsabilité de l’employeur à la preuve que le tiers exerce une autorité de fait ou de droit.

 

La demande des salariés aurait peut-être pu prospérer s’ils avaient soutenu que le manquement à l’obligation de sécurité résultait de violence au travail, dans le cadre d’une activité comportant un risque d’agression.

 

La Cour de Cassation aurait ainsi pu appliquer sa nouvelle position obligeant l’employeur à justifier d’avoir pris toutes les mesures de prévention prévues aux articles L 4121-1 et 2 du Code du travail.

 

En effet, dans un arrêt du 22 septembre 2016 concernant une agression verbale par le futur repreneur de la société d’un salarié, dont il était établi l’absence de toute autorité de droit ou de fait, la Cour de Cassation avait jugé que l’employeur avait justifié avoir pris les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail (Cass. soc. 22.09.2016, n° 15-14.005).

 

En l’état, sur le terrain du harcèlement moral, l’obligation de sécurité de l’employeur ne pourra être mise en cause du fait de l’intervention d’un tiers que de façon bien délimitée. Il conviendra de prouver que ce tiers exerce de fait ou de droit, pour le compte de l’employeur, une autorité sur l’intéressé, à défaut de quoi l’employeur ne pourra être tenu responsable du harcèlement.

 

 

LES REGLES A APPLIQUER PAR LES JUGES EN MATIERE DE PREUVE DU HARCELEMENT MORAL

(Cass. soc. 08.06.2016, n° 14-13.418)

 

 

Depuis une série d’arrêts du 24 septembre 2008 (Cass. soc. 24.09.2008, n° 06-45.579, 06-45.747, 06-43.504), la chambre sociale de la Cour de Cassation contrôle la qualification du harcèlement moral.

 

Elle a eu l’occasion de préciser la méthode devant être suivie par les juges du fond pour caractériser l’existence du harcèlement. Il leur appartient ainsi :

 

  • d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié comme constitutifs d’un harcèlement moral, sans écarter les documents médicaux éventuellement produits,

 

  • puis d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L 1152-1 du Code du travail.

 

Si c’est le cas, les juges doivent apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

 

Aux termes d’un arrêt du 8 juin 2016, la Cour de Cassation ajoute que : « sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, et qui sont contrôlées par la Cour de Cassation, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ».

 

Pour la première fois depuis 2008, la Haute Juridiction reconnaît ainsi aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation en matière de harcèlement, alors que jusqu’à présent, il n’était officiellement admis que pour l’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits par le salarié.

 

Cet arrêt du 8 juin 2016 semble ainsi marquer un allègement du contrôle de la Cour de Cassation dans ce domaine. 

 

 

HARCELEMENT MORAL : A QUELLES CONDITIONS DESORMAIS L’EMPLOYEUR PEUT-IL ECARTER SA RESPONSABILITE ?

(Cass. soc. 01.06.2016, n° 14-19.702)

 

 

Parachevant un long chemin jurisprudentiel relatif à l’obligation de sécurité de résultat depuis 2002 et dans la lignée de son arrêt rendu le 25 novembre 2015, la Cour de Cassation juge désormais, dans une décision du 1er juin 2016, que la responsabilité de l’employeur en matière de harcèlement moral n’est plus automatique et qu’à certaines conditions - strictes -, elle peut être écartée.

 

La prévention est désormais le maître mot.

 

 

1.- Une évolution jurisprudentielle significative depuis 2002

 

Depuis 2002 et les arrêts dits « amiante », la Cour de Cassation considérait que l’employeur était tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise et que sa responsabilité était engagée dès qu’un risque d’atteinte à la santé et à la sécurité était avéré (Cass. soc. 28.02.2002, n° 00-11.793).

 

En matière de harcèlement moral, la Haute Cour jugeait que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité de résultat dès qu’un salarié était victime de harcèlement moral, l’absence de faute de sa part ne pouvant l’exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de ses salariés (Cass. soc. 21.06.2006, n° 05-43.914 ; Cass. soc. 10.05.2012, n° 11-11.152).

 

Dès lors, que l’employeur ait pris des mesures conservatrices et protectrices en vue de faire cesser les agissements de harcèlement moral dont un salarié avait été victime n’excluait pas la violation de l’obligation de sécurité de résultat (Cass. soc. 03.02.2010, n° 08-44.019).

 

Toutefois, fin 2015, la Cour de Cassation a amorcé une évolution dans l’application faite à l’obligation de sécurité de résultat en matière de santé et de sécurité au travail.

 

Elle décidait en effet que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail » (Cass. soc. 25.11.2015, n° 14-24.444).

 

Restait à savoir si cette évolution affecterait le harcèlement moral en tant que manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat

 

L’arrêt rendu le 1er juin 2006 répond à cette interrogation.

 

 

2.- Une possible exonération de la responsabilité de l’employeur…

 

Par son arrêt du 1er juin 2016, la Cour de Cassation étend au harcèlement moral l’évolution jurisprudentielle dans l’obligation de sécurité de résultat amorcée fin 2015 et reconnaît désormais à l’employeur la possibilité, à certaines conditions, de s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’un salarié est victime de harcèlement (Cass. soc., 01.06.2016, n° 14-19.702).

 

Au visa des articles L 1152-1, L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, la Cour de Cassation énonce que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

 

La chambre sociale admet donc clairement que l’employeur puisse ne pas voir sa responsabilité engagée de façon systématique en cas de harcèlement moral dans l’entreprise.

 

Toutefois - que les entreprises ne se réjouissent pas trop vite -, les conditions imposées par la Cour de Cassation, qui sont doubles, demeureront difficiles à réunir.

 

 

3.- … à des conditions strictes toutefois

 

Si l’employeur peut désormais s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral, ce n’est pas à n’importe quelle condition.

 

En effet, pour la chambre sociale, il appartient à l’employeur de justifier :

 

  • non seulement qu’il a pris, en aval, toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement ;
  • mais également qu’il a mis en place, en amont, une politique de prévention de qualité guidée par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail.

 

Et c’est sans doute cette dernière condition qui posera le plus de difficulté aux employeurs.

 

Dans l’espèce soumise à la Cour de Cassation le 1er juin 2016, il a ainsi été considéré que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail alors même qu’il avait introduit dans son règlement intérieur une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral qu’il avait mis en œuvre pour y mettre fin.

 

Il justifiait en outre avoir diligenté une enquête interne sur la réalité des faits dès qu’il avait eu connaissance du conflit personnel du salarié avec son supérieur hiérarchique et mis en œuvre une réunion de médiation avec le médecin du travail, le directeur des ressources humaines et trois membres du CHSCT au terme de laquelle une mission de médiation entre les deux salariés en cause, d’une durée de trois mois, avait été confiée au DHR.

 

Ces mesures n’ont pas été jugées suffisantes, l’employeur ne justifiant pas notamment avoir mis en œuvre des actions de formation et d’information propres à prévenir la survenance de harcèlement moral, conformément au 2° de l’article L 4121-1 du Code du travail.

 

La solution dégagée par la Cour de Cassation, si elle concilie la nécessité d’une protection du harcèlement moral et les droits de la défense de l’employeur, s’avère très exigeante pour ce dernier s’agissant des actions de prévention dont il devra justifier.

 

Dans la pratique, elle devrait conduire les entreprises non pas seulement à AGIR a posteriori en prenant des mesures immédiates en cas de signalement d’un comportement de harcèlement moral, mais aussi à PREVENIR en développant les actions de formation et d’information du personnel, notamment d’encadrement, pour les sensibiliser à la problématique du harcèlement moral et à revoir plus globalement, dans une démarche concrète, son organisation de travail, les conditions de travail et les relations sociales dans l’entreprise.

 

 

 

L’ABSENCE DE REACTION DE L’EMPLOYEUR A UNE SITUAtION DE HARCELEMENT DENONCEE JUSTIFIE LA PRISE D’ACTE DE LA RUPTURE

(Cass. soc. 08.07.2015, n° 14-13.324)

 

 

De jurisprudence constance, l’employeur manque à son obligation de sécurité de résultat lorsqu’un de ses salariés est victime de harcèlement moral ou sexuel de la part d’un collègue, et ce même s’il prend les mesures nécessaires pour y mettre fin (Cass. soc. 03.02.2010 n° 08-44.019 ; Cass. soc. 11.03.2015 n° 13-18.603).

 

Jusqu’en 2014, la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail en raison du harcèlement moral subi par lui était systématiquement jugée justifiée (Cass. soc. 03.02.2010 n° 08-44.019 ; Cass. soc. 19.01.2012 n° 10-20.935).

 

Toutefois, depuis 2014, la jurisprudence exige que le manquement reproché à l’employeur soit tel qu’il rend impossible la poursuite de la relation contractuelle (Cass. soc. 26.03.2014 n° 12-23.634 n° 12-35.040 et 12-21.372 ; Cass. soc. 12.06.2014 n° 13-11.448 et 12-29.063), ce qu’il appartient aux juges du fond de vérifier.

 

Qu’en est-il désormais de la prise d’acte motivée par une situation de harcèlement moral ancienne car préexistante au départ d’un salarié en congé parental d’éducation ?

 

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de Cassation du 8 juillet 2015, une salariée avait, juste avant son retour d’un congé parental ayant immédiatement succédé à un congé de maternité, pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison du harcèlement moral qu’elle avait subi de la part de son supérieur hiérarchique et dont elle avait informé son employeur avant son départ en congé.

 

En défense, l’employeur faisait valoir d’une part, que les faits de harcèlement étaient anciens compte tenu de l’absence de la salariée, qui était sans lien avec le harcèlement subi, et d’autre part, que l’auteur des agissements avait été licencié depuis la rupture du contrat de la victime, soit après la prise d’acte.

 

Les juges du fond, approuvés par la Cour de Cassation, ont fait droit à la demande de la salariée en jugeant que la situation en cause rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle et que la prise d’acte de la rupture de son contrat par la salariée devait produire les effets d’un licenciement nul, en application de l’article L 1152-3 du Code du travail.

 

A ce titre, ils ont retenu qu’au jour de la prise d’acte, et alors que l’employeur était informé depuis longtemps de la situation de harcèlement, ce dernier n’avait pris aucune mesure propre à faire cesser les agissements reprochés. En effet, l’auteur des faits était toujours en poste et n’avait pas été licencié, de sorte que la salariée pouvait légitimement craindre que les agissements en cause se reproduisent.

 

La prise d’acte par la salariée de la rupture de son contrat de travail à son retour de congé, en raison du harcèlement moral subi antérieurement, est donc jugée justifiée

 

C’est au jour de la rupture du contrat de travail matérialisée par la prise d’acte que les juges apprécient la gravité des manquements invoqués. Dès lors que l’employeur n’a pris aucune mesure pour éviter la perpétuation des agissements de harcèlement moral – à savoir qu’il n’a pas licencié l’auteur du harcèlement -, la poursuite de la relation contractuelle était impossible.

 

Il en aurait sans doute été autrement si l’employeur avait licencié l’auteur du harcèlement au moment où il avait été avisé de la situation par la salariée victime, ou du moins avant que cette dernière ait pris acte de la rupture de son contrat.