TRANSACTIONS

 

 

PEUT-ON DISCUTER DU PRINCIPE, VOIRE DU CONTENU D'UNE TRANSACTION AVANT LE LICENCIEMENT ?

(Cass. soc. 13.05.2015, n° 14-10.116)

 

 

Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour de Cassation apporte de nouvelles précisions sur la validité d’une pratique très fréquente : est-il possible d’engager des discussions sur une éventuelle transaction avant même la rupture du contrat de travail, et dans l’affirmative, jusqu’à quel degré de précisions ?

 

 

Il résulte d’une jurisprudence constante que la transaction n’est valable que si elle est conclue postérieurement à la rupture définitive du contrat de travail, et ce quel que soit le mode de rupture (licenciement, démission…).

 

Cette règle découle de l’objet même de la transaction, qui n’opère pas la résiliation, mais en règle les conséquences.

 

Selon l’article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Dès lors, la transaction ayant pour objet de mettre fin, par des concessions réciproques, au litige résultant notamment d’un licenciement ne peut valablement être conclue qu’une fois la rupture intervenue et définitive (Cass. soc. 29.025.1996 n° 92-45.115).

 

Ainsi, en cas de licenciement, une transaction n’est valable que si le salarié licencié a eu connaissance effective des motifs du licenciement par la réception de la lettre de licenciement dans les conditions requises par l’article L 1232-6 du Code du travail, soit obligatoirement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (Cass. soc. 25.01.2011 n° 09-41.650).

 

En conséquence, justifient leur décision d’annuler la transaction les juges du fond qui, appréciant la valeur et la portée des éléments qui leur étaient soumis, ont retenu que le protocole transactionnel avait en réalité été signé à une date antérieure à la notification de la rupture du contrat de travail par l’employeur, bien qu’il mentionne une date postérieure (Cass. soc. 01.02.2012 n° 10-20.893).

 

Ainsi, un protocole transactionnel daté du 12 mai est signé en réalité à une date antérieure à la lettre de licenciement du 7 mai, au vu d’un procès-verbal d’huissier dressé le 5 mai qui lui confère date certaine (Cass. soc. 10.11.2009 n° 08-41.588).

 

Il n’en reste pas moins qu’en pratique, les discussions entre l’employeur et le salarié sur une éventuelle transaction peuvent intervenir dès l’engagement de la procédure de licenciement, voire même avant le début de la procédure de licenciement.

 

Qu’en est-il alors lorsque le protocole transactionnel est bien signé postérieurement à la rupture du contrat de travail mais a été précédé de discussions entre les parties avant ladite rupture ?

 

L’examen de plusieurs espèces jurisprudentielles entre 2003 et 2015 doit permettre de dégager les règles en la matière :

 

1)  Un salarié conclut, antérieurement à la rupture de son contrat de travail, un accord avec l’employeur qui prévoit que son futur licenciement sera accompagné d’une aide à la recherche d’emploi et d’une indemnité transactionnelle égale à 6 mois de salaire. Postérieurement à la rupture, les parties signent une transaction reprenant les mêmes avantages que ceux issus de l’accord antérieur.

 

Dans cette hypothèse, la Cour de Cassation juge que la transaction, bien que signée postérieurement à la notification du licenciement, n’est pas valable dès lors que les avantages consentis au salarié par l’employeur étaient les mêmes que ceux résultant de l’accord signé entre eux avant la notification du licenciement, en sorte que la transaction procède en réalité d’un échange de consentements antérieur à la rupture (Cass. soc. 09.07.2003 n° 01-41.202).

 

 

2)  Le 25 octobre, est remis à une salariée un projet de transaction, daté du 7 novembre suivant, qu’elle a signé après son licenciement pour faute grave notifié par lettre du 5 novembre.

 

Selon la Cour de Cassation, la Cour d’Appel, qui relève que le projet de transaction reçu par la salariée avant son licenciement avait été signé après sa notification sans modification, a pu en déduire que les parties s’étaient entendues avant le licenciement sur la transaction, qui n’a donc pu valablement régler le différend entre les parties sur la qualification de la rupture ou sur ses effets (Cass. soc. 08.06.2011 n° 09-43.221).

 

 

3)  Une salariée est licenciée par lettre en date du 28 février, reçue le 4 mars, et signe une transaction datée du 13 mars suivant. Toutefois, l’employeur a, avant le licenciement, transmis à la salariée un projet de transaction dont elle a déjà discuté avec son conseil le 25 février, soit avant la notification de la rupture, la salariée soutenant que la transaction aurait en réalité été signée le 26 février.

 

La Cour de Cassation déclare la transaction nulle en relevant que la salariée avait reçu le projet de transaction avant son licenciement et s’en était entretenue avec un défenseur syndical, de sorte qu’il pouvait en être déduit que les parties s’étaient entendues sur la transaction qui, bien que signée après, n’avait donc pu valablement régler le différend entre les parties sur la qualification de la rupture ou sur ses effets (Cass. soc. 04.04.2007 n° 05-42.856).

 

 

4)  Les parties concluent une première transaction, signée le 29 mai, prévoyant le versement d’une indemnité transactionnelle de 40.000 euros. Par une seconde transaction, signée le 5 octobre de la même année, le montant de l’indemnité est fixé à 28.000 euros.

 

A l’inverse des précédentes hypothèses, la Cour de Cassation, ayant relevé que la seconde transaction était intervenue après la rupture du contrat de travail et portait sur un montant différent de celui de la première transaction, conclue avant la notification du licenciement, a confirmé que cette dernière transaction étant valable, la preuve n’étant pas rapportée que les parties s’étaient entendues sur cette seconde transaction avant la rupture du contrat de travail (Cass. soc. 23.10.2013 n° 12-15.284).

 

 

5)  Une salariée est licenciée le 8 janvier, puis conclut avec son ancien employeur un protocole transactionnel portant la date du 18 janvier. Toutefois, dès le 31 décembre précédent, la salariée avait fait savoir à son employeur, en réponse, qu’elle ne pouvait pas accepter la transaction proposée, caractérisant ainsi des discussions entre les parties antérieures au licenciement.

 

Pour débouter la salariée de sa demande de nullité de la transaction, les juges relèvent que le courriel du 31 décembre ne faisait état que d’une proposition de transaction et ne mentionnait pas le contenu de celle-ci ni la somme revenant à la salariée, en sorte qu’il n’était pas établi que cette proposition correspondait à celle signée et datée du 18 janvier (Cass. soc. 13.05.2015 n° 14-10.116).

 

 

Il ressort ainsi de l’examen de la jurisprudence que si la conclusion de la transaction doit être nécessairement postérieure à la rupture, il n’est pas interdit d’évoquer la possibilité d’en conclure une au préalable.

 

Les solutions dégagées par la Cour de Cassation semblent pouvoir être exposées ainsi :

 

  • si l’échange des consentements réciproques de l’employeur et du salarié est en réalité antérieur à la rupture, la transaction doit être déclarée nulle même si cet échange est réitéré après, via la signature de la transaction ;
  • il en est de même si le projet de transaction soumis antérieurement à la rupture a été signé après, sans aucune modification ;
  • en revanche, une proposition de transaction antérieure à la rupture qui ne mentionne pas le contenu de celle-ci et la somme versée au salarié concerné ne peut remettre en cause la validité de la transaction signée ultérieurement ;
  • également, si le projet de transaction soumis antérieurement à la rupture est modifié, ce qui conduit à la signature d’une transaction révisée après la rupture, cette dernière demeure valable.

 

Il apparaît donc possible d’entamer des pourparlers avant que la rupture du contrat de travail ne soit définitive, à condition toutefois que les négociations ne prennent fin que postérieurement à cette date afin que l’échange des consentements à la transaction n’intervienne pas avant la rupture.

 

Face au risque de nullité de la transaction, les parties ne peuvent toutefois qu’être invitées à une vigilance renforcée quant à la nature et au contenu des négociations qui pourraient débuter avant la notification de la rupture.