PRISE D'ACTE ET RESILIATION JUDICIAIRE
POUR QUE LA RESILIATION JUDICIAIRE PUISSE PRENDRE EFFET A LA DATE DE LA DECISION QUI LA PRONONCE, LE SALARIE DOIT TOUJOURS ETRE A LA DISPOSITION DE SON EMPLOYEUR
(Cass. soc. 21.09.2016, n° 14-30.056)
Par un arrêt du 11 janvier 2007, la Cour de Cassation a décidé qu’en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, « sa prise d’effet ne peut être fixée qu’à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu’à cette date le salarié est toujours au service de son employeur » (Cass. soc., 11.01.2007, n° 05-40.626).
La Haute Juridiction a ensuite adopté une nouvelle formulation : « en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date ».
Ainsi, lorsqu’un licenciement est notifié avant la décision du juge de première instance, c’est à la date d’envoi de la lettre de licenciement qu’il convient de fixer la date d’effet de la résiliation judiciaire (Cass. soc., 07.12.2011, n° 07-45.689 ; Cass. soc., 13.11.2014, n° 13-17.595).
En cas de décès du salarié, sachant que son action peut être reprise par ses ayants droit, la résiliation judiciaire, si elle est prononcée, prend effet à la date du décès (Cass. soc., 12.02.2014, n° 12-28.571).
Mais qu’en est-il lorsque le contrat de travail du salarié demandeur à la résiliation judiciaire n’a pas été expressément rompu avant la date du jugement mais que le salarié ne demeure plus au service de son employeur ?
La Cour a eu à déterminer la date de prise d’effet de la résiliation judiciaire dans le cas d’une salariée qui avait été informée du transfert de son contrat de travail, au titre de l’article L 1224-1 du Code du travail, au sein d’une société qui avait repris l’une des trois boutiques gérées jusqu’alors par son employeur.
La salariée estimait qu’elle n’exerçait qu’une partie de son activité pour le compte de cette boutique et qu’elle aurait dû continuer à travailler pour son employeur qui avait conservé l’exploitation de l’établissement qui, selon elle, représentait son travail principal.
L’employeur a toutefois cessé de payer la salariée à partir de la date où, selon lui, elle avait été transférée, de sorte que la salariée a engagé une action en résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation de paiement du salaire. Quatre mois plus tard, elle entrait au service d’un autre employeur, sans pour autant avoir donné sa démission.
Les juges du fond ont prononcé la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur mais en ont fixé rétroactivement la prise d’effet à la date où la salariée avait été engagée par le nouvel employeur.
Après recours de la salariée, la Cour de Cassation a donné raison aux juges du fond en considérant que la résiliation judiciaire ne peut prendre effet à la date de prononcé du jugement qu’à partir du moment où, premièrement, le contrat de travail n’a pas été préalablement été rompu et, deuxièmement, le salarié se tient à la disposition de l’employeur :
« Mais attendu qu’en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d’effet ne peut être fixée qu’à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu’à cette date le contrat de travail n’a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur.
Et attendu que la Cour d’Appel, ayant constaté que la salariée n’était plus à la disposition de l’employeur au-delà du 30 mai 2011, date à laquelle elle bénéficiait d’un nouveau contrat de travail auprès d’un autre employeur, n’encourt pas les griefs du moyen ».
EN CAS DE PRISE D’ACTE PRODUISANT LES EFFETS D’UN LICENCIEMENT ABUSIF, L’INDEMNITE DE PREAVIS NE SAURAIT ETRE REDUITE EN CAS DE NOUVELLE EMBAUCHE RAPIDE DU SALARIE
(Cass. soc. 14.09.2016, n° 14-16.663)
Lorsque les griefs de l’employeur invoqués par le salarié, à l’appui de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans ce cas, le salarié qui en fait la demande a droit à l’indemnité de préavis et aux congés payés y afférents, à l’indemnité de licenciement ainsi qu’aux dommages et intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 28.09.2011, n° 09-67.510). Seule l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ne lui est pas due (Cass. soc. 06.05.2015, n° 13-28.803).
Dans un arrêt du 14 septembre 2016, la Cour de cassation rappelle ce principe en cassant l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait, à tort, limité le montant de l’indemnité compensatrice de préavis, au motif que le salarié avait été embauché par un nouvel employeur quelques jours seulement après sa prise d’acte.
LA PRISE D’ACTE EST JUSTIFIEE EN L’ABSENCE DE REACTION DE L’EMPLOYEUR A UNE SITUAtION DE HARCELEMENT DENONCEE
(Cass. soc. 08.07.2015, n° 14-13.324)
Jusqu’en 2014, la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail en raison du harcèlement moral subi par lui était systématiquement jugée justifiée (Cass. soc. 03.02.2010 n° 08-44.019 ; Cass. soc. 19.01.2012 n° 10-20.935).
Toutefois, depuis 2014, la jurisprudence exige que le manquement reproché à l’employeur soit tel qu’il rend impossible la poursuite de la relation contractuelle (Cass. soc. 26.03.2014 n° 12-23.634 n° 12-35.040 et 12-21.372 ; Cass. soc. 12.06.2014 n° 13-11.448 et 12-29.063), ce qu’il appartient aux juges du fond de vérifier.
Qu’en est-il désormais de la prise d’acte motivée par une situation de harcèlement moral ancienne car préexistante au départ d’un salarié en congé parental d’éducation ?
Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de Cassation du 8 juillet 2015, une salariée avait, juste avant son retour d’un congé parental ayant immédiatement succédé à un congé de maternité, pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison du harcèlement moral qu’elle avait subi de la part de son supérieur hiérarchique et dont elle avait informé son employeur avant son départ en congé.
En défense, l’employeur faisait valoir d’une part, que les faits de harcèlement étaient anciens compte tenu de l’absence de la salariée, qui était sans lien avec le harcèlement subi, et d’autre part, que l’auteur des agissements avait été licencié depuis la rupture du contrat de la victime, soit après la prise d’acte.
Les juges du fond, approuvés par la Cour de Cassation, ont fait droit à la demande de la salariée en jugeant que la situation en cause rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle et que la prise d’acte de la rupture de son contrat par la salariée devait produire les effets d’un licenciement nul, en application de l’article L 1152-3 du Code du travail.
A ce titre, ils ont retenu qu’au jour de la prise d’acte, et alors que l’employeur était informé depuis longtemps de la situation de harcèlement, ce dernier n’avait pris aucune mesure propre à faire cesser les agissements reprochés. En effet, l’auteur des faits était toujours en poste et n’avait pas été licencié, de sorte que la salariée pouvait légitimement craindre que les agissements en cause se reproduisent.
La prise d’acte par la salariée de la rupture de son contrat de travail à son retour de congé, en raison du harcèlement moral subi antérieurement, est donc jugée justifiée
C’est au jour de la rupture du contrat de travail matérialisée par la prise d’acte que les juges apprécient la gravité des manquements invoqués. Dès lors que l’employeur n’a pris aucune mesure pour éviter la perpétuation des agissements de harcèlement moral – à savoir qu’il n’a pas licencié l’auteur du harcèlement -, la poursuite de la relation contractuelle était impossible.
Il en aurait sans doute été autrement si l’employeur avait licencié l’auteur du harcèlement au moment où il avait été avisé de la situation par la salariée victime, ou du moins avant que cette dernière ait pris acte de la rupture de son contrat.
L’ABSENCE DE VISITE MEDICALE D’Embauche NE JUSTIFIE PAS AUTOMATIQUEMENT ET A ELLE SEULE LA Prise d’acte de la rupture DU CONTRAT
(Cass. soc. 18.02.2015, n° 13-21.804)
L'absence de visite médicale d'embauche justifie-t-elle une prise d'acte de la rupture du contrat de travail ?
Aux termes d’un arrêt du 18 février 2015, la Cour de Cassation répond par la négative : si elle résulte d’une simple négligence de l’employeur, l’absence de visite médicale d’embauche ne constitue pas un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail. En conséquence, la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat pour ce motif produit les effets d’une démission.
Cette solution est une illustration de la nouvelle jurisprudence de la Cour de Cassation issue de trois arrêts en date du 26 mars 2014 subordonnant la prise d’acte ou la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur à l’existence d’une faute suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
Est donc bien remise en cause la jurisprudence antérieure considérant que certains manquements justifiaient nécessairement la rupture du contrat, tels que le défaut de visite médicale d’embauche, dès lors qu’ils relevaient de l’obligation de sécurité de résultat (Cass. soc. 22.09.2011 n° 10-13.568).
Désormais, l’absence de visite médicale d’embauche ne semble plus pouvoir justifier, à elle seule, une prise d’acte ou une résiliation judiciaire de son contrat par un salarié, sauf éventuellement si ce manquement résulte d’un refus de l’employeur.
Et encore faut-il que le salarié agisse rapidement et n’attende pas plusieurs mois pour se prévaloir de l’absence de visite médicale d’embauche, les manquements trop anciens ne pouvant plus être invoqués.
Il convient de souligner toutefois que l’absence de visite médicale d’embauche pourra conduire à d’autres sanctions, puisque la Cour de Cassation juge qu’elle cause nécessairement un préjudice au salarié dont il doit être indemnisé (Cass. soc. 12.02.2014 n° 12-26.241).
Prise d’acte de la rupture : la vigilance s’impose…
(Cass. soc. 16.05.2012, n° 10-15.238)
Aux termes d’un arrêt du 16 mai 2012, la Cour de Cassation précise que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit être adressée directement à l’employeur (Cass. soc. 16 mai 2012 n° 10-15.238).
Si le courrier est transmis, en l’espèce par l’Avocat du salarié, au Conseil de Prud’hommes, le salarié a déposé, non pas une prise d’acte, mais une demande tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Aux termes de plusieurs arrêts rendus depuis le début de l’année, la Cour de Cassation, tout en confirmant l’absence de formalisme de la prise d’acte, rappelle ce qui fait l’originalité de ce mode de rupture issu d’une construction jurisprudentielle.
La Cour de Cassation avait déjà jugé que la prise d’acte de la rupture n’était soumise à aucun formalisme particulier et qu’elle pouvait valablement être présentée par le Conseil du salarié au nom de celui-ci (Cass. soc. 04.04.2007 n° 05-42.847).
Mais l’Avocat avait alors adressé la lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail à l’employeur de son client, alors que dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 16 mai 2012, la lettre avait été transmise à la juridiction prud’homale.
Or, la Cour souligne que c’est nécessairement l’employeur qui doit être le destinataire de la prise d’acte de la rupture.
Présentée directement devant le Conseil de Prud’hommes, la prise d’acte devait alors s’analyser comme une demande tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Deux modes de rupture distincts…
La position de la Cour de Cassation s’explique par la nature même de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, distincte de celle de la demande de résiliation judiciaire du contrat.
La prise d’acte se définit comme la situation dans laquelle le salarié cesse le travail et notifie la rupture de son contrat de travail à l’employeur en lui en imputant la responsabilité du fait du non-respect de ses obligations contractuelles ou de son comportement estimé fautif par le salarié. Le Conseil de Prud’hommes saisi parallèlement ou ultérieurement par le salarié jugera si la rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués justifiaient la prise d’acte, ou dans le cas contraire, d’une démission.
Si elle est également réservée aux seuls salariés, la résiliation judiciaire du contrat de travail suppose, à l’inverse, que le salarié poursuive l’exécution du contrat de travail et qu’il formule une demande en ce sens devant le Conseil de Prud’hommes, auquel il appartiendra précisément de prononcer la rupture s’il l’estime fondée à l’examen des griefs invoqués par le salarié.
Dans le second cas, la rupture n’interviendra que si le juge, auquel la demande est adressée, la prononce, et ce à la date du jugement ; dans le premier cas, la rupture du contrat de travail est immédiate et imputée à l’employeur, et elle doit de ce fait, nécessairement, être notifiée à ce dernier.
…. qui peuvent se succéder dans le temps
A une demande de résiliation judiciaire formulée par le salarié peut succéder une initiative du même salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Dans ce cas, la jurisprudence souligne que la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à l’employeur entraînant la cessation immédiate du contrat de travail, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant.
Toutefois, s’il appartient au juge de se prononcer sur la seule prise d’acte, il doit fonder sa décision sur les manquements de l’employeur invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la prise d’acte (Cass. soc. 25.02.2009 n° 06-46.436).
… mais dont la mise en œuvre nécessite une particulière vigilance du salarié ou de son Conseil
La Cour a rappelé à plusieurs reprises que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail n’est pas une prise d’acte de la rupture du contrat de travail (Cass. soc 22.02.2006, n° 03-47.639 ; 21.03.2007 n° 05-45.390 ; 28.03.2007, n° 05-44.042 et 05-44.125).
Si la distinction entre ces modes de rupture semble aisée, la pratique révèle que la frontière entre les deux peut s’avérer parfois délicate.
La qualification juridique retenue par le juge peut n’être pas nécessairement celle que le salarié avait initialement choisie.
Ainsi, relevant qu’un salarié, ayant demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, a eu la possibilité de continuer à travailler mais a choisi de ne plus remplir sa prestation de travail, il en a été déduit que le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail (Cass. soc. 19.12.2007 n° 06-44.873).
Ce n’est pas ici la formulation de la demande de l’intéressé qui a été déterminante, mais le choix du salarié de cesser le travail dès la notification à son employeur des griefs qu’il avait à lui reprocher.
A l’inverse, la Cour de Cassation a récemment jugé, dans un arrêt du 7 février 2012, qu’un salarié qui avait saisi le Conseil de Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, tout en cessant parallèlement le travail, n’avait pas pris acte de la rupture de ce contrat (Cass. soc. 07.02.2012 n° 09-73.062).
Dans cette espèce, le salarié, qui avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail auprès du Conseil de Prud’hommes, avait, en cause d’appel, modifié sa demande pour voir reconnaître qu’il avait en réalité pris acte de la rupture le jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes.
A l’inverse de son précédent arrêt de 2007, la Cour de Cassation a fait primer la formulation de la demande initiale du salarié.
En réalité, la différence d’appréciation réside, dans l’arrêt du 7 février 2012, dans l’absence de volonté du salarié de rompre son contrat de travail au jour de la saisine de la juridiction prud’homale, puisque le salarié n’avait adressé à son employeur aucun courrier parallèlement à la cessation de ses fonctions.
Or, si la prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme particulier, encore faut-il que le salarié qui l’invoque ait manifesté sa volonté de rompre son contrat et ce, au plus tard au jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes.
Pour la Cour de Cassation, la prise d’acte de la rupture suppose une manifestation explicite de la volonté du salarié, et, ainsi qu’elle l’a affirmé encore dans un autre arrêt du 1er février 2012, la seule saisine du Conseil de Prud’hommes par un salarié pour voir juger que la rupture intervenue est imputable à l’attitude fautive de l’employeur ne peut être assimilée à une prise d’acte (Cass. soc. 01.12.2012, n° 10-20.732).
Les salariés - et leur Conseil - sont donc invités à une particulière vigilance tant dans la rédaction du courrier faisant état des griefs reprochés à l’employeur que dans le choix du destinataire (employeur ou Conseil de Prud’hommes).