RETRAIT DU PERMIS DE CONDUIRE ET LICENCIEMENT : PETIT VADE-MECUM A L’ATTENTION DE L’EMPLOYEUR

 

  

Quelle attitude l’employeur peut-il adopter, sans risque, lorsqu’il est confronté à la situation de l’un de ses salariés, privé temporairement ou définitivement de son permis de conduire ? 

 

 

Dans de telles circonstances, l’employeur devra s’interroger successivement sur les points suivants : 

 

 

La décision prononçant la suspension du permis de conduire autorise-t-elle ou non mon salarié à conduire pour l’exercice de son activité professionnelle ? 

 

C’est l’évidence : si le salarié peut, en dépit d’une suspension de son permis de conduire, continuer à utiliser son véhicule pour l’exécution de ses missions professionnelles, l’employeur ne peut justifier d’aucun préjudice et ne saurait être fondé à prononcer la rupture du contrat de travail pour ce motif. 

 

A ainsi été jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié :

 

  • dont le permis de conduire avait été suspendu pendant une durée de 7 mois, mais aux termes d’un jugement l’ayant toutefois autorisé à conduire pour l’exercice de son activité professionnelle (Cass. soc. 13.07.1993, n° 90-44.188) ;
  • dont le permis de conduire avait été suspendu pendant une durée de 4 mois, alors que la suspension provisoire du permis n'empêchait pas le salarié de continuer à exercer les fonctions qui lui étaient confiées, sachant qu’il n’était pas en permanence employé à des activités de conduite et de livraison mais pouvait également assurer la préparation des commandes, le chargement et le déchargement des camions, le réapprovisionnement des rayons… (Cass. soc. 15.04.2016, n° 15-12.533).

 

 

 

L’infraction à l’origine de la suspension ou du retrait du permis de conduire de mon salarié a-t-elle été commise dans le cadre de sa vie professionnelle ou de sa vie privée ?

 

Dans le premier cas - la perte ou la suspension du permis de conduire résulte de faits commis à l’occasion du travail -, le comportement du salarié pourra justifier son licenciement disciplinaire dès lors que ses manquements aux règles de sécurité peuvent être considérés comme fautifs. 

 

Ainsi, il a été jugé que pendant le temps de travail, la conduite d’un véhicule de transports en commun par un salarié sous l’empire d’un état alcoolique constitue indiscutablement une faute grave (Cass. soc., 24.01.1991, n° 88-45.022), de même que le non-respect par un chauffeur routier des consignes relatives à la conduite des véhicules et à la sécurité du travail, tels que le dépassement de la vitesse autorisée et l’infraction aux temps de conduite et de repos (Cass. soc. 03.04.1996, n° 94-44.610), ou encore le fait pour un chauffeur d’utiliser le téléphone portable fourni par l’entreprise au volant de son véhicule pour envoyer de très nombreux SMS (CA Nancy ch. soc., 14.11.2012, n° 12/00388).

 

Dans le deuxième cas - la perte ou la suspension du permis résulte de faits commis à l’occasion de la vie privée du salarié -, la situation est plus délicate et nécessite de ne pas se tromper dans l’analyse des éléments factuels et dans le choix du terrain servant de fondement au licenciement. 

 

 

 

Informé d’une infraction commise par mon salarié en dehors de son temps de travail, conduisant à une perte ou une suspension de son permis de conduire, puis-je engager une procédure de licenciement en raison de son comportement qui a une incidence directe sur l’exécution de ses missions professionnelles ?

 

 

La position de la Cour de Cassation est désormais tranchée :

 

« Mais attendu qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail. »

 

 

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 10 juillet 2013, un salarié avait fait l’objet d’un contrôle d’alcoolémie à la suite d’un accident de la circulation et s’était vu retirer immédiatement son permis de conduire. Son employeur l’avait alors licencié pour faute grave.

 

La Cour d’Appel avait retenu que le motif énoncé dans la lettre de licenciement portait bien sur le comportement du salarié dont l’intempérance grave avait conduit à la suspension de son permis de conduire pendant une longue durée, l’empêchant de poursuivre normalement son activité ; selon elle, si ce fait ne rendait pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, il constituait assurément une cause réelle et sérieuse de licenciement, dès lors que l’attribution principale de l’intéressé impliquait des déplacements habituels à l’aide d’un véhicule.

 

Infirmant la décision des juges du fond, la Cour de Cassation, après avoir relevé que le salarié s’était vu retirer son permis de conduire à la suite d’une infraction au code de la route commise en dehors de l’exécution de son contrat de travail, ne pouvait que juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu’il avait été prononcé pour motif disciplinaire (Cass. soc. 10.07.2013, n° 12-16.878).

 

Auparavant, la Haute Juridiction avait pu, à l’inverse, considérer que le fait, pour un salarié affecté en exécution de son contrat de travail à la conduite de véhicules, de se voir retirer son permis de conduire pour des faits de conduite en état d’ébriété, même commis en dehors de son temps de travail, se rattachait à sa vie professionnelle (Cass. soc. 21.01.1992, n° 91-40.259 ; Cass. soc. 02.12.2003, n° 01-43.227 ; Cass. soc. 19.03.2008, n° 06-45.212).

 

Un arrêt du 3 mai 2011 (pourvoi n° 09-67.464) avait initié le revirement de jurisprudence, qui est aujourd’hui confirmé par l’arrêt du 10 juillet 2013, ces décisions étant conformes à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de Cassation, constante depuis 1997, selon laquelle un fait tiré de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement pour faute (Cass. soc. 16.12.1997, n° 95-41.326). 

 

 

 

Est-ce à dire que je dois nécessairement conserver à mon service un salarié qui, du fait de la suspension ou du retrait de son permis de conduire dans le cadre de sa vie privée, a perdu toute capacité de travailler ?

 

 

Si le licenciement pour faute est effectivement exclu, l’employeur est en revanche en droit de prononcer un licenciement non disciplinaire pour trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise si l’usage d’un véhicule est indispensable à l’exécution du travail ou si le salarié est directement affecté à la conduite de véhicules.

 

Ainsi :

  • la privation du permis de conduire pour une durée de six ou de quatre mois, qui empêche le salarié d’exercer les fonctions pour lesquelles il avait été engagé, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc. 24.01.2007, n° 05-41.598 ; Cass. soc. 01.04.2009, n° 08-42.071) ;

 

  • le licenciement est également justifié lorsque le retrait de permis a entraîné une réduction de l’activité du salarié et une gêne dans le fonctionnement de l’entreprise, bien que l’intéressé se soit fait véhiculer par une tierce personne depuis le retrait jusqu’au licenciement (Cass. soc. 27.06.2001, n° 99-44.756).

 

A l’inverse, s’il est constaté :

 

  • que la conduite d’un véhicule ne fait pas partie des fonctions de coordinateur de préparation confiées au salarié (Cass. soc. 04.05.2011, n° 09-43.192)
  • ou que la fonction de conducteur de travaux n’implique pas la nécessité d’avoir un permis de conduire valide (Cass. soc. 18.01.2012, n° 10-30.677)
  • ou encore que le salarié affecté à un poste d’agent de service remplaçant effectuait des livraisons mais aussi d’autres activités ne nécessitant pas la conduite d’un véhicule, tels que la préparation de commandes, le chargement et le déchargement des camions, le réapprovisionnement des rayons etc. (Cass. soc. 15.04.2016, n° 15-533),

 

le licenciement des intéressés, motif pris d’une suspension provisoire de leur permis de conduire, ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

 

  

 

Que se passe-t-il si la décision de retrait du permis de conduire de mon salarié est ultérieurement annulée ? 

 

 

Même si l’employeur a parfaitement respecté les règles susvisées dans le choix du motif du licenciement en fonction des circonstances de fait, la situation n’est toutefois pas sans risque dans l’hypothèse d’un contentieux administratif parallèle.

 

En effet, la Cour de Cassation a rappelé qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs, elle est tenue de faire application de la règle selon laquelle l’annulation d’une décision administrative a un effet rétroactif (Cass. soc. QPC 13.07.2012, n° 12-13.522).

 

En conséquence, elle juge dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement motivé par le retrait du permis de conduire d’un salarié, l’annulation par le tribunal administratif de la décision emportant pour le salarié perte de son permis ayant un effet rétroactif et ne pouvant être remise en cause par le juge judiciaire (Cass. soc. 12.12.2012, n° 12-13.522).

 

Ainsi, même si le licenciement était, au moment de son prononcé, parfaitement légitime, le retrait du permis de conduire du salarié est, du fait de son annulation, réputé n’être jamais intervenu et ne pouvait justifier le licenciement pour ce motif.

 

C’est donc sur l’employeur que pèsent les conséquences de l’illégalité entachant la décision administrative.