JOURNALISTES

 

DELAI DE LA CLAUSE DE CESSION DES JOURNALISTES

(CA Paris 03.02.2022, pôle 6 ch. 8, n° 20/05917)

 

 

Les journalistes bénéficient d’un régime favorable qui leur réserve la faculté de rompre unilatéralement leur contrat de travail tout en percevant l’indemnité de licenciement applicable aux journalistes et prévue à l’article L 7112-3 du Code du travail (soit un mois par année ou fraction d’année de collaboration des derniers appointements).

 

L’article L 7112-5 du Code du travail vise les trois hypothèses suivantes :

 

- la cession du journal ou du périodique ;

- la cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;

- le changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique, si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux.

 

 

Le texte ne prévoit aucune limite d’application dans le temps.

 

La Cour de Cassation juge depuis longtemps qu’aucun délai n’est imposé aux journalistes pour mettre en œuvre la clause de cession ; « il suffit pour que les dispositions de l’article L 761-7 [devenu L 7112-5] puissent être invoquées que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l’une des circonstances qu'il énumère » (Cass. soc. 03.11.1994, n° 91-43.007 ; Cass. soc. 10.03.1998, n° 95-43.795).

 

Elle a régulièrement confirmé sa jurisprudence depuis lors, en retenant la même motivation, et dans des hypothèses dans lesquelles le journaliste avait invoqué la clause de cession plusieurs mois après la cession effective (Cass. soc. 16.02.2012, n° 10-18.525 ; Cass. soc. 02.06.2021, n° 19-20.588, respectivement 8 mois et 18 mois plus tard).

 

Dans un arrêt du 23 février 2022, la Cour d’Appel de Paris retient la même position pour un journaliste ayant fait jouer la clause de cession 9 mois après l’ouverture (CA Paris 23.02.2022, pôle 6 ch. 3, n°18/12203), en rappelant que la clause de cession « s’applique à la condition de la double preuve de la qualité de journaliste et de l'existence d'une cession, celle ci-résultant de la cession de l'organe de presse à un tiers ou en cas de transfert de propriété de celui-ci » et considérant qu’« en ajoutant une condition de délai, l'employeur limite sans raison ni droit l'application de ce régime dérogatoire ».

 

De la même façon, la Cour d’Appel de Versailles, dans un arrêt du 3 mars 2022, affirme que « l'exercice de ce droit par le journaliste n'est enserré dans aucun délai légal » et que « c'est en vain que l'employeur a exprimé la volonté d'en limiter l'exercice au 30 septembre 2016 au plus tard ». Le journaliste avait donc valablement pu faire jouer la clause le 1er septembre 2017 (CA Versailles 03.03.2022, n° 20/00043).

 

Toutefois, dans un autre arrêt du 3 février 2022, la Cour d’Appel de Paris juge qu’une journaliste n’était pas fondée à se prévaloir de la clause de cession qu’elle avait exercée en juin 2014 alors que le rachat de l’entreprise était intervenu en mars 2011, soit 39 mois plus tôt (CA Paris 03.02.2022, pôle 6 ch. 8, n° 20/05917).

 

La Cour n’impose pas explicitement le respect d’un certain délai pour faire valoir la clause de cession ; elle exige que « quel que soit le délai pris par la salariée pour faire jouer la clause de cession », il soit « vérifié l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal ».

 

En l’espèce, bien que la journaliste ait fait valoir dans son courrier du 23 juin 2014 que la cession de la société en mars 2011 avait eu pour « conséquence directe » une « mise en place progressive d’une nouvelle politique d’entreprise qui ne (lui) permet plus aujourd'hui d'exercer (son) métier de journaliste comme précédemment », la Cour a estimé que la nouvelle politique avait été mise en œuvre dès avant la cession et que la preuve du lien de causalité entre la décision de la journaliste et la cession de l’entreprise n’était pas rapportée.  

 

 

 

COMPETENCE RESPECTIVE DE LA COMMISSION ARBITRALE DES JOURNALISTES ET DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES : LA FIXATION DE L’INDEMNITE DE LICENCIEMENT DU JOURNALITE DE PLUS DE 15 ANS D’ANCIENNETE REVIENT A LA SEULE COMMISSION ARBITRALE

(Cass. soc. 14.02.2018, n° 16-25.649)

 

 

Par dérogation à la règle selon laquelle tous les litiges individuels nés à l'occasion de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail doivent être portés devant le Conseil de Prud’hommes, c’est, s’agissant des journalistes professionnels, une commission spéciale qui est seule compétente pour fixer, dans certains cas, l’indemnité de licenciement : la commission arbitrale des journalistes.

 

La commission arbitrale des journalistes, composée paritairement d’arbitres désignés par les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés et présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat en activité ou retraité, est compétente dans deux cas : 

 

1) selon les articles L 7112-4 et D 7112-2 du Code du travail, la commission arbitrale est saisie pour déterminer l’indemnité de licenciement due au salarié dont l’ancienneté excède quinze années.

 

Jusqu’à 15 ans d’ancienneté, l’indemnité de licenciement est égale, en application de l’article L 7112-3, à un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements, le maximum des mensualités étant ainsi fixé à quinze ;

 

2) l’article L 7112-4 précise également qu’en cas de faute grave ou de fautes répétées, l’indemnité de licenciement peut être réduite dans une proportion qui est arbitrée par la commission ou même supprimée.

 

 

Le Conseil Constitutionnel a décidé que les articles L 7112-3 et L 7112-4 du Code du travail étaient conformes à la Constitution, en ce qu’ils ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant la loi (Cons. const. 14.05.2012 n° 2012-243/244/245/246 QPC).

 

Ainsi, en premier lieu, la commission arbitrale est seule compétente pour statuer sur la demande d’indemnité de licenciement présentée par un journaliste professionnel ayant plus de quinze ans d’ancienneté.

 

La durée des services s’apprécie au niveau de l’entreprise et non de la profession. Par ailleurs, cette durée est déterminée, en cas de litige sur ce point, par le Conseil de Prud’hommes.

 

En second lieu, la commission arbitrale est compétente en cas de licenciement du journaliste pour « faute grave ou fautes répétées », quelle que soit son ancienneté, celle-ci pouvant réduire ou même supprimer l’indemnité de licenciement.

 

Pour fixer le quantum ou supprimer cette indemnité, la commission arbitrale des journalistes doit alors apprécier l’existence et la gravité des fautes alléguées, sans que la décision de la juridiction prud’homale, statuant le cas échéant sur les autres indemnités réclamées au titre de la rupture du contrat de travail, ne s’impose à elle. Les fautes alléguées n’ont donc pas à être préalablement établies par le Conseil de Prud’hommes.

 

La compétence de la commission arbitrale est limitée aux cas prévus par la loi et ne peut porter :

 

  • ni sur la détermination d’indemnités distinctes de l’indemnité de licenciement (indemnités de préavis et de congés payés ; indemnité pour rupture abusive…)
  • ni sur le paiement de salaire ou accessoires de salaire (prime d’ancienneté, treizième mois…)
  • ni sur l’existence et de la durée du contrat de travail ;
  • ni sur l’auteur de la rupture du contrat.

 

 

En revanche, il revient exclusivement à la commission arbitrale des journalistes de statuer sur la demande d’indemnité de licenciement présentée par un journalistes professionnel dont le licenciement a été prononcé pour faute grave ou qui justifie de plus de 15 ans d’ancienneté.

 

La Cour de Cassation a eu l’occasion de rappeler ce principe dans un arrêt du 14 février 2018.

 

Licencié pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement, un journaliste justifiant de 40 ans d’ancienneté avait saisi la commission arbitrale qui avait fixé à 220.000 € le montant de l’indemnité de licenciement qui lui était due. L’intéressé avait ensuite saisi le Conseil de Prud’hommes d’une demande en paiement de la même somme de 220.000 € au titre de l’indemnité spéciale de licenciement prévue à l’article L 1226-14 du Code du travail (indemnité égale au double de l’indemnité légale de licenciement en cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle).

 

La Cour d’Appel s’étant déclarée incompétente pour statuer sur sa demande en paiement de solde d’indemnité de licenciement, le journaliste faisait valoir devant la Cour de Cassation que s’agissant des indemnités de rupture dues au journaliste professionnel, la juridiction prud’homale conserve la plénitude de sa compétence en ce qui concerne toute indemnité autre que celle mentionnée aux articles L 7112-3 et L 7112-4 du Code du travail.

 

Le pourvoi en cassation du salarié est toutefois rejeté : « il résulte de l’application combinée des articles L 7112-3 et L 7112-4 du Code du travail que la commission arbitrale des journalistes est seule compétente pour statuer sur l’octroi et sur le montant d’une indemnité de licenciement, quelle qu’en soit la cause, au journaliste professionnel ayant plus de quinze années d’ancienneté. Ainsi, c’est à bon droit que la Cour d’Appel s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande en paiement de solde d’indemnité de licenciement d’un journaliste professionnel de plus de quinze années d’ancienneté ».

 

Le journaliste professionnel se voit, de ce fait, refuser le bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement prévue par l’article L 1226-14 du Code du travail en cas d’inaptitude professionnelle.

 

Devant la commission arbitrale des journalistes, seule compétente à ce titre, le journaliste de plus de 15 ans d’ancienneté pourra toutefois faire valoir l’origine professionnelle de son inaptitude aux fins d’obtenir une indemnité de licenciement justement évaluée au regard de cette situation.

 

 

LA FOURNITURE REGULIERE DE TRAVAIL A UN JOURNALISTE PIGISTE, PENDANT UNE LONGUE PERIODE, FAIT DE LUI UN COLLABORATEUR REGULIER QUI DOIT BENEFICIER DES DROITS APPLICABLES AUX JOURNALISTES PROFESSIONNELS

(Cass. soc. 13.05.2015, n° 13-25.476)

 

 

Les pigistes sont des journalistes non rétribués par des appointements, mais à la pige, c’est-à-dire par une rétribution accordée en proportion du nombre et de la qualité des articles qu'ils remettent à l’entreprise.

 

Auparavant, ces journalistes se voyaient appliquer les seules dispositions du statut n’impliquant pas l’existence d’un contrat de travail et ne bénéficiaient pas des mêmes droits et avantages - découlant de la réglementation et de la convention collective des journalistes - que les journalistes salariés.

 

La loi du 4 juillet 1974 a mis fin au statut particulier des pigistes. Désormais, selon l’article L 7112-1 du Code du travail issu de cette loi, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail quels que soient le mode et le montant de la rémunération.

 

Les pigistes bénéficient donc de la présomption de contrat de travail, s'ils ont la qualité de journaliste professionnel dans les conditions fixées par l'article L 7111-3 du Code du travail.

 

Selon cet article, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

 

 

La Cour de Cassation réserve la qualité de salarié au journaliste pigiste exerçant régulièrement son activité pour la société qui l’emploie.

 

Elle adopte des principes identiques pour définir les obligations de l’employeur en matière de fourniture de travail aux journalistes pigistes.

 

La jurisprudence de la Cour de Cassation a en effet toujours énoncé que :

 

  • si en principe une entreprise de presse n'a pas l'obligation de procurer du travail au journaliste pigiste occasionnel, il n'en est pas de même si, en fournissant régulièrement du travail à ce journaliste pendant une longue période, elle a fait de ce dernier, même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel l'entreprise est tenue de fournir du travail (Cass. soc. 24.03.2004 n° 02-40181) ;

 

  • en fournissant régulièrement du travail à un journaliste pendant une longue période, la société a fait de ce dernier, même s'il était rémunéré à la pige, un collaborateur régulier. A ce titre, il devait bénéficier des avantages prévus en faveur des journalistes professionnels permanents par la convention collective nationale des journalistes (Cass. soc. 03.03.2004 n° 02-40.372) ;

 

  • dès lors qu'une société a l'obligation de demander à un journaliste, de manière constante et régulière, une prestation de travail, l'interruption de cette relation de travail s'analyse en un licenciement (Cass. soc. 01.02.2000 n° 98-40.195) ;

 

  • une Cour d'Appel relevant qu'une journaliste rémunérée à la pige a exercé la profession de rédactrice au bénéfice de la société de façon régulière de 1995 à 2002, qu'elle justifiait tirer de l'exercice de sa profession de journaliste le principal de ses ressources, qu'en outre elle recevait des fiches de paie visant la convention collective nationale des journalistes, bénéficiait d'un treizième mois et d'une prime d'ancienneté, en déduit à bon droit que la salariée est présumée exercer son activité dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée (Cass. soc. 16.09.2009 n° 07-44.254).

 

 

Dans un arrêt rendu le 13 mai 2015, la Cour de Cassation rappelle à nouveau ce principe.

 

Un salarié, engagé par la société Radio France internationale pour réaliser des piges depuis plusieurs années, avait saisi le Conseil de Prud’hommes pour demander la requalification de la relation de travail initiale en contrat à durée indéterminée depuis le 1er mars 1992, avec la qualité de journaliste, ainsi que le paiement de rappels de salaire et d'indemnités conformes à cette reconstitution de carrière.

 

La Cour d’Appel avait fait droit à ses demandes et l’employeur avait formé un pourvoi en cassation, qui est rejeté.

 

La Cour de Cassation confirme en effet que « la fourniture régulière de travail à un journaliste pigiste, pendant une longue période, fait de lui un collaborateur régulier qui doit bénéficier à ce titre des dispositions légales applicables aux journalistes professionnels ».